Communiqué

La morille agricole cultive ses bactéries

30 octobre 2013

L’agriculture n’est pas l’apanage des humains, loin s’en faut. On en trouve même à l’échelle microscopique. Une des plus petites structures fermières connues à ce jour est dévoilée par le groupe de la professeure Pilar Junier, directrice du Laboratoire de microbiologie de l’Université de Neuchâtel. Elle met en scène des morilles qui cultivent des bactéries pour assurer leur subsistance. Ce système mutualiste pour le moins surprenant est décrit aujourd’hui dans la prestigieuse revue Proceedings of the Royal Society B.

Quel promeneur, en cueillant une morille, se douterait qu’il tient dans ses mains une fermière des plus sophistiquées? Et il aurait bien raison de s’étonner, car c’est une première. « Un champignon qui élève des bactéries comme réserve de nourriture : cela n’a jamais été observé auparavant ! », souligne Pilar Junier, professeure de microbiologie à l’Université de Neuchâtel. Le système que le laboratoire neuchâtelois a mis en évidence répond en effet aux trois étapes définissant l’agriculture : semer, cultiver et récolter. On connaissait déjà les fourmis qui élèvent des pucerons, ou encore des coléoptères agriculteurs. Et voilà que l’on découvre à présent des compétences fermières chez des champignons !

A l’instar des paysans, les morilles Morchella crassipes prennent soin de leur cheptel : grâce aux réseaux des filaments fongiques, les champignons permettent aux bactéries Pseudomonas putida de se disperser et de proliférer. Les morilles alimentent leurs microorganismes, les collectent et en gèrent le stock en fonction de leurs besoins. On observe également une délocalisation entre le lieu de production et le lieu de consommation des bactéries (séparation des rôles dans la colonie), autant de caractéristiques rappelant l’agriculture humaine.

La culture des bactéries par la morille présente un nouvel exemple de mutualisme, autrement dit d’un système où les interactions profitent à tous les protagonistes : les bactéries y gagnent en prolifération, tandis que les morilles accèdent aux nutriments que renferment les Pseudomonas et dont elles peuvent ainsi profiter. La description de ce système dépasse le pur intérêt scientifique, car elle laisse entrevoir des perspectives d’application, à commencer par la culture de morilles destinées à la consommation humaine. Par ailleurs, sachant que les bactéries et champignons sont capables de dégrader certaines substances polluantes, il serait intéressant d’avoir quelques détails sur la façon dont cette agriculture bactério-fongique pourrait être appliquée à la dépollution.

Le communiqué au format pdf

Contact :

Prof. Pilar Junier
Laboratoire de microbiologie
Tél. : +41 32 718 22 44
pilar.junier@unine.ch

 

Diffusion de bactéries Pseudomonas putida colorées par fluorescence (partie verte) sur les hyphes de la morille Morchella crassipes.

En savoir plus :

Pion M, Spangenberg JE, Simon A, Bindschedler S, Flury C, Chatelain A, Bshary R, Job D, Junier P. 2013 Bacterial farming by the fungus Morchella crassipes. Proc R Soc B 20132242.