Expliquer la Terre...
Rencontre avec Stephen A. Miller, professeur en géothermie
L'enthousiasme de ce passionné de la Terre, voyageur impénitent et émule de Bruce Springsteen, est contagieux!
Enfant, il a suivi son père militaire de Washington DC à Albuquerque (Nouveau-Mexique) en passant par Wichita (Kansas) ou Wiesbaden en Allemagne. Après des études dans le Maryland et à Stanford (Californie), il a voyagé encore, découvrant et photographiant la planète à laquelle, sur un plan scientifique cette fois, il allait consacrer sa vie…
Votre leçon inaugurale en 2016 était intitulée «La puissance des fluides dans la tectonique, les tremblements de terre et l’extraction de l’énergie géothermique»… Pouvez-vous brièvement nous expliciter cela ?
En fait, il n’y a qu’une seule idée dans ma vie : l’idée que les fluides contrôlent tout ! Je m’explique… Un jour, alors que je faisais mes études à Stanford, mon superviseur m'a demandé de réfléchir à «ce qui se passe si deux compartiments isolés, contenant chacun des fluides à des pressions différentes, communiquent soudain». Cette question a servi de base à mon travail de master, et finalement à toute ma carrière ! Car c’est elle qui m’a emmené sur le chemin de l’étude des systèmes complexes, en particulier des systèmes suscités par des fluides à haute pression.
Quelques années plus tard (après avoir arpenté la planète comme photographe et m’être retrouvé à cours d’argent), je suis revenu à cette question parce que je m’étais décidé à faire un doctorat. J’ai griffonné sur un papier une série de petites boîtes, pour essayer d’illustrer la façon dont les fluides à haute pression peuvent contrôler le cycle des tremblements de terre. Ça a été un vrai déclic : j’ai regardé ce que je venais de dessiner et je me suis dit: «Voilà, j’ai la réponse! Eurêka!» Je tenais les bases de quelque chose. Mais c’était intuitif, j’avais encore tout à apprendre!
C’est ce que j’ai fait au cours des vingt dernières années. J’ai poursuivi cette idée, étudié, intégré beaucoup, beaucoup de disciplines dans mon processus de recherche. Et aujourd’hui, c’est ce que j’expliquerai dans ma leçon inaugurale, je pense toujours que tout est là : les fluides à haute pression contrôlent une grande partie de la façon dont fonctionne la Terre. Comme l’a écrit Lao Tseu il y a 2500 ans dans le Tao Te King (Le livre de la voie et de la vertu): «Rien n'est plus souple et plus faible que l'eau, mais pour s'attaquer à ce qui est dur, rien ne la supasse, elle n'a pas d'égal.»
Le métier de vos rêves lorsque vous étiez enfant?
Je voulais être baseball pitcher (lanceur) pour les Baltimore Orioles! Et un peu plus tard, jeune ado, Président des Etats-Unis!
Ce qui vous passionne dans la discipline qui est la vôtre?
La nature ! Et donc comment marche notre planète. Avoir l’opportunité d’étudier comment fonctionne la nature et être payé pour cela, personnellement, je ne vois pas ce que je pourrais rêver de mieux! Parce que votre travail vous oblige à continuer à apprendre en permanence. Il y a tellement de chemins qui peuvent être pris. Pour moi, c’est idéal.
Parvenez-vous encore à vous promener dans la nature sans penser à vos recherches?
Quand j’étais enfant, on voyageait beaucoup avec ma famille. J’ai donc passé mon enfance à regarder les paysages défiler à travers les vitres de la voiture et à m’émerveiller devant ce spectacle, devant le mystère de la nature. En tant que scientifique, on perd un peu ce sentiment de «magie spirituelle», c’est vrai… c’est le prix à payer!
LE livre qui a participé à vous construire?
Je dirais Les Raisins de la colère de John Steinbeck, qui m’a frappé très fort et marqué à jamais. La crise, les migrants partant de l’Oklahoma pour la Californie… C’est une situation qui se répète, ailleurs, mais toujours de la même façon, aujourd’hui encore. On n’a rien appris et cela me rend fou ! C’est à ce livre que je dois ma sensibilité sociale. Plus tard, il y a eu les ouvrages de Hermann Hesse, qui m’ont apporté des points de vue philosophiques sur la vie et l’univers. Les Frères Karamazov de Dostoïevski m’a également marqué fortement. Et dans un autre registre, celui des comics, Calvin and Hobbes !
Le moteur qui vous anime dans le cadre de votre enseignement ?
Le fait de rendre les étudiants aussi enthousiastes que je le suis par rapport à notre «mission». Tout le monde aime la nature… mais beaucoup de gens ont un blocage mental : ils ne veulent rien savoir de la physique et des maths. Et pourtant, on a besoin de ces connaissances. Ce que je fais par conséquent – et il me semble que cela marche – c’est d’expliquer comment la Terre fonctionne et de faire entrer subrepticement dans mon propos les questions physiques et mathématiques, sans que les étudiants les perçoivent nécessairement. Par la force des choses, ils y viennent, et de manière beaucoup plus naturelle.
Personnellement, je ne suis venu à ces matières que parce que je poursuivais un idéal, celui de consacrer ma vie et mon travail à la nature. Auparavant, je détestais aussi ces branches ! Mais dès le moment où j’ai trouvé ma voie, j’ai su que ces disciplines me seraient indispensables. J’ai donc décidé de les maîtriser.
La musique que vous avez envie d’écouter en regardant un paysage défiler ?
Depuis l’époque de mes études, je n’ai pas tellement changé, je suis resté fixé sur les mêmes musiques. Il y a le reggae : je travaille beaucoup en écoutant du reggae ! Et il y a Bruce Springsteen, qui a eu une très forte influence sur moi. En roulant, j’écoute du Springsteen ! Quand je me sens bien, joyeux, en accord avec l’univers, j’écoute Bruce ! A plein tube !
Un moment fort qui vous a marqué dans le cadre scolaire ou universitaire ?
Je me souviens d’un moment précis, lorsque j’étais en 5e année, assis au fond de ma classe à Wiesbaden, en Allemagne. Pendant toute ma 5e, je regardais les cartes géographiques accrochées au mur, et aussi la liste des présidents américains, dont j’apprenais les noms par cœur ! Un jour, la maîtresse, Madame Claussen a dit: «Il est maintenant certain qu’à une époque, l’Afrique et l’Amérique du Sud se touchaient».
C’était alors les débuts de la théorie de la tectonique des plaques. Et je me suis dit : c’est tellement incroyablement cool ! Parce que… je l’avais toujours imaginé, cela se voyait sur la carte, mais ce n’était pas officiel ! Cette nouvelle m’a fait un effet incroyable. C’était génial ! Et le fait que je m’occupe aujourd’hui de géologie, de mouvements tectoniques, démontre à quel point ce moment apparemment anodin a été important pour moi.
Interview UniNE 2016
Bio express
Stephen A. Miller, Professeur ordinaire en géothermie au Centre d’hydrologie et de géothermie (CHYN) de l’UniNE, où il a été engagé en avril 2014. Auparavant, il a travaillé comme stagiaire post-doctorant à l’EPFZ, puis comme professeur de géodynamique à Bonn (Allemagne). Il est détenteur d’un Bachelor en génie civil de l’Université du Maryland (USA), d’un Master en géophysique de l’Université de Stanford (USA) et d’un Doctorat en sciences naturelles à l’EPFZ.