La science pour relever les défis environnementaux
Rencontre avec Laurel Thomas Arrigo, professeure en chimie des sols
« Minéraux du sol : moteurs des cycles biogéochimiques mondiaux ? », c’est le titre de la leçon inaugurale que proposera Laurel Thomas Arrigo, professeure en chimie des sols, mercredi 8 mai 2024 à 18h15, à UniMail, rue Emile-Argand 11. Référence dans le domaine de la chimie environnementale, cette chercheuse américaine est arrivée l’année passée à l’UniNE en provenance de l’EPFZ.
Elle travaille presque toujours en musique. « Lorsque je dois me concentrer ou écrire, j'écoute la plupart du temps des playlists de piano et d'instruments à cordes. Si la tâche à accomplir demande un peu moins de concentration, ce sera de la musique country ! », explique Laurel Thomas Arrigo. Nous ne pouvons donc que commencer par un crochet dans les magnifiques décors rocheux du Colorado !
Vous avez commencé vos études dans une région particulièrement riche du point de vue des gisements de métaux – la région de Boulder – et proche d’une zone spectaculaire sur un plan géologique, l’Ouest américain. Cela a-t-il eu eu-une influence sur votre curiosité et votre parcours scientifiques ?
Absolument ! J'ai passé de nombreux week-ends de mon enfance à pratiquer la randonnée et le camping dans les montagnes Rocheuses, avec ma famille. Ces moments en plein air m'ont permis de développer un profond respect pour la nature. Mais ce n'est qu'à l'université que j'ai réalisé que je pouvais combiner mon intérêt pour la nature et les processus naturels à travers mes études, et éventuellement une carrière !
Vous êtes professeure en chimie des sols, spécialiste en chimie environnementale de la zone critique. Qu’appelle-t-on la « zone critique » ?
La zone critique désigne la fine couche extérieure de la croûte terrestre où la roche, le sol, l'eau, l'air et les organismes vivants interagissent et façonnent l'environnement. Elle s'étend de la cime des arbres jusqu'aux eaux souterraines en passant par le sol ; il s'agit en fait de la partie de la croûte terrestre avec laquelle nous, les humains, interagissons.
Nous qualifions cette zone de « critique » parce qu'elle fournit des services essentiels au maintien de la vie telle que nous la connaissons. Les sols sont une composante vitale de la zone critique car ils assurent des fonctions essentielles, par exemple la croissance des plantes et la production alimentaire terrestre, l'écoulement et la filtration de l'eau, le stockage des nutriments.
Quels sont les principaux processus biogéochimiques en action dans les sols qui impliquent une étude particulièrement attentive dans la période de changement climatique que nous vivons ?
Les minéraux du sol jouent un rôle crucial dans les cycles biogéochimiques car ils servent de réservoirs pour les nutriments essentiels tels que l'azote, le phosphore et le soufre, ainsi que pour les éléments majeurs tels que le carbone et le fer. Les minéraux du sol agissent comme des sites de stockage, libérant des nutriments et des éléments dans la solution du sol (l'eau qui circule dans les espaces libres du sol). A travers un processus d'altération, ils y deviennent disponibles pour l'absorption par les plantes et d'autres organismes. Les minéraux du sol influencent les réactions chimiques qui régissent les cycles biogéochimiques, telles que les réactions d'oxydo-réduction et les transformations des nutriments.
Les changements dans la composition minérale du sol peuvent affecter la disponibilité des nutriments et des éléments pour les plantes et les autres organismes, ce qui a un impact sur le fonctionnement global de l'écosystème ainsi que sur la capacité des sols à tenir leur rôle de fournisseur de « services essentiels ». Il est donc primordial de comprendre la dynamique des minéraux du sol pour mettre au point des pratiques durables d'utilisation des terres et atténuer la dégradation des sols dans le contexte des conditions environnementales changeantes associées au changement climatique.
Votre leçon inaugurale s’intitule « Minéraux du sol : moteurs des cycles biogéochimiques mondiaux ? » Qu’entendez-vous par « cycles biogéochimiques mondiaux » ?
Il s’agit du mouvement et de la transformation d'éléments essentiels, par exemple le carbone, l'azote, le phosphore et le soufre, entre les organismes vivants, l'atmosphère, les océans, les sols et les roches de la Terre. Ces cycles impliquent divers processus tels que la photosynthèse, la respiration, la décomposition, l'altération et la sédimentation, et jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat de la Terre, la disponibilité des nutriments et la santé globale de l'écosystème.
Ces processus biogéochimiques sont observés aussi bien via des modèles théoriques que sur le terrain. Le Laboratoire de chimie environnementale de l’Université de Neuchâtel, que vous dirigez, développe de nouvelles techniques analytiques… quels en sont les grandes lignes ?
Les études de laboratoire permettent de contrôler de nombreuses variables et paramètres à une petite échelle. Il est donc plus facile d'étudier ainsi des processus biogéochimiques spécifiques. Sur le terrain, l'étude d'un processus biogéochimique spécifique peut s'avérer difficile car le système est beaucoup plus complexe et comporte moins de variables ou de paramètres contrôlables.
Le Laboratoire de chimie environnementale s'efforce de relever ce défi en développant des techniques et des modèles expérimentaux qui tiennent compte des échelles spatiales et temporelles. En mesurant les changements de composition isotopique dans des expériences en laboratoire et sur le terrain, nous pouvons comparer l'impact d'un processus biogéochimique spécifique dans des environnements contrôlés et d’autres plus naturels, ce qui nous permet de mieux comprendre dans quelle mesure nous pouvons extrapoler les résultats d'études en laboratoire à l'échelle du terrain.
Le métier de professeur d’université est double : recherche et enseignement. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans vos recherches et de là, dans la transmission de ces recherches ?
Mes recherches me passionnent parce qu'elles contribuent aux connaissances nécessaires pour relever les défis environnementaux urgents tels que le changement climatique, la pollution et la sécurité alimentaire. Nous ne pouvons pas relever ces défis seuls : nous avons besoin d'une base scientifiquement défendable pour prendre nos décisions. Par conséquent, j'aime enseigner, c’est-à-dire partager mes recherches avec la prochaine génération de scientifiques, de décideurs politiques, de dirigeants... Mon objectif est de leur fournir les outils qui leur permettront de relever des défis qui sont en constante évolution, et de prendre des décisions responsables et éclairées.
Enfant, quel métier rêviez-vous de faire une fois devenue grande ?
A une époque, j'ai rêvé d'être photoreporter et de me spécialiser dans la photographie de voyage. J'y voyais un bon moyen de combiner deux de mes centres d'intérêt, les voyages et la photographie.
Pour conclure, le souvenir d’un moment particulièrement fort vécu dans le cadre universitaire, en tant qu’étudiante ou en tant que professeure ?
Je vous l’ai dit, ce n'est qu'à l'université que j'ai découvert les sciences naturelles en tant que filière d'études. En fait, c'est au cours du dernier semestre de mes études de premier cycle que j'ai eu du temps libre et que j'ai décidé de suivre un cours d’introduction à l'océanographie, pour le plaisir. Jusque-là, je n'avais jamais suivi de cours de sciences de l'environnement ! Bien que je n'aie pas poursuivi le chemin de l’océanographie, ce cours a vraiment changé ma trajectoire : j'ai décidé que je voulais en savoir plus à propos des sciences de l'environnement… une décision qui m'a finalement permis de devenir professeure de chimie environnementale !
Interview UniNE 2024
Leçon inaugurale
« Minéraux du sol : moteurs des cycles biogéochimiques mondiaux) », leçon inaugurale de Laurel Thomas Arrigo
Mercredi 8 mai 2024 à 18h15
UniMail, rue Emile-Argand 11
Bio express
Laurel Thomas Arrigo a obtenu une Licence en mathématiques et en histoire à l’Université du Colorado, à Boulder (USA). C’est en Europe qu’elle poursuivra sa formation : Master en hydrogéologie et géosciences de l’environnement à l’Université de Göttingen (Allemagne), puis Doctorat en chimie des sols à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (EPFZ). Elle travaille à l’Université de Neuchâtel depuis février 2023.
Ses domaines de recherche
- Transformation des phases minérales réactives du sol
- Processus biogéochimiques dans les sols des zones humides
- Cycle des éléments traces et des nutriments dans les sols
Contact & bibliographie