Communiqué

Les processus mentaux à l'origine du racisme et de l'exclusion sociale

02 décembre 2013

Une personne amenée à collaborer avec un membre d’un groupe social qui lui est étranger ne se le représente pas mentalement. Contrairement à ce qui se passe lors d’une interaction avec un membre de son groupe, elle réalise la tâche qu’on lui confie comme si elle était toute seule, ni plus, ni moins. Telle est la principale conclusion d’une étude menée par Jennifer McClung, chercheuse au Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel, en collaboration avec des collègues de l’Université de St Andrews en Ecosse. Ses travaux publiés dans la revue scientifique PLoS ONE plongent dans les racines psychologiques de l’exclusion sociale, de la déshumanisation et du racisme.

L’objectif de cette étude était de comparer la façon de prendre conscience de la présence d’un partenaire pour la réalisation d’une tâche donnée. Les sujets étaient divisés en deux groupes, de manière complètement arbitraire. Néanmoins, lorsque le partenaire était membre du même groupe, les temps de réaction du sujet étaient modulés par sa présence, démontrant que la représentation mentale du partenaire influençait les processus cognitifs du sujet. Mais lorsque le partenaire était issu d’un autre groupe, ces temps de réaction n’étaient pas modifiés. Dans ce cas de figure, le sujet se comportait comme s’il était seul, ignorant complètement la présence du partenaire. La faute à une absence de représentation mentale de l’autre personne.

«Ceci montre qu’au niveau le plus fondamental de nos représentations mentales, nous ne prenons pas en compte les membres qui ne proviennent pas de notre groupe, commente Jennifer McClung, post-doctorante à l’Université de Neuchâtel et premier auteur de l’étude. Ces résultats donnent des indications sur la manière dont les gens peuvent s’engager dans un comportement raciste, qui porte préjudice à autrui, voire même à la négation de son statut d’être humain.»

Cette découverte s’oppose à une pensée conventionnelle qui suggère que nos cerveaux enregistrent automatiquement la présence d’autrui et en sont affectés. Elle modifie considérablement notre compréhension des représentations mentales et de la société. Or, en l’absence de représentation mentale d’une personne, il nous est plus difficile de saisir ce que celle-ci pense ou ressent. D’où un renforcement des malentendus accompagné d’une mise à mal de l’empathie qui est la source de notre prise en considération des autres. Cette étude a permis d’identifier des processus mentaux qui seraient à l’origine des problèmes de relations entre groupes, même à large échelle.

« Notre recherche montre comment des processus mentaux à un niveau très fondamental affectent la façon dont nous voyons les autres personnes, souligne Jennifer McClung. Si les membres d’autres groupes nous sont invisibles, si nous ignorons leurs pensées et leurs expériences, alors il devient bien plus facile de leur imposer des souffrances ». Mais le plus effrayant est de constater qu’il en faut si peu pour « sortir quelqu’un de sa tête ». Comme l’indique le professeur Stephen Reicher de l’Université de St-Andrews : « Les sujets d’études n’étaient pas des groupes avec de forts antagonismes historiques qui pourraient expliquer qu’ils s’ignorent les uns les autres. Le regroupement s’est basé sur des critères très simples et cela a suffi pour affecter notre représentation mentale de l’autre. » Ces recherches devraient permettre de mieux comprendre les mécanismes cognitifs à l’origine des oppositions entre groupes différents, qui peuvent conduire à l’exclusion sociale, au racisme ou à toute forme de déshumanisation.

Pour ce travail, Jennifer McClung a notamment bénéficié d’une bourse Dual Carrier Couple de la CRUS (Conférence des Recteurs des Universités Suisses) destinée à encourager les carrières des deux conjoints de couples d’universitaires.

Le communiqué au format pdf

Contact :

Dr. Jennifer McClung
Laboratoire de Cognition Comparée
Tél. +41 32 718 31 28
jennifer.mcclung@unine.ch

En savoir plus :

Référence:
McClung JS, Jentzsch I, Reicher SD (2013) Group Membership Affects Spontaneous Mental Representation: Failure to Represent the Out-Group in a Joint Action Task. PLoS ONE 8(11): e79178. doi:10.1371/journal.pone.0079178