Communiqué
en Suisse, 275 000 emplois ont été créés par des entrepreneurs issus de la migration
Neuchâtel, le 22 décembre 2010. Les étrangers ne viennent pas seulement en Suisse pour chercher du travail mais aussi pour créer des emplois. Ainsi près de 10% de la population active migrante a un statut d'indépendant et leurs entreprises génèrent quelque 275 000 emplois. C'est ce qui ressort d'une étude de l'OCDE qui vient d'être publiée et qui a été commandée au Professeur Etienne Piguet de l'Université de Neuchâtel.
La Suisse comptait 76'000 étrangers travaillant à leur propre compte en 2009, soit 50% de plus qu'en 1991 (50'000). En tenant compte des personnes naturalisées, le nombre d'indépendants "issus de la migration" s'inscrit à 135'000, soit 9.6% de la population active migrante. Beaucoup sont à la tête d'entreprises prospères et l'effectif total des emplois qui leur sont directement attribuables peut être estimé à 275'000. Ces chiffres impressionnants viennent d'être publiés par l'OCDE sur la base d'une étude commandée au Professeur Etienne Piguet de l'Université de Neuchâtel.
La figure de l'immigrant entrepreneur n'est pas nouvelle en Suisse. Les compétences spécifiques des migrants des siècles passés leur ont souvent permis de créer des entreprises florissantes telles que Nestlé, Bally ou Wander. Au cours de la période de forte immigration qui suivit la seconde guerre mondiale, l'immigration vers la Suisse fut, par contre, dominée par le modèle des travailleurs temporaires, peu propice à la création d'entreprise en raison de la fragilité des titres de séjour octroyés aux immigrants. L'entreprenariat des étrangers a donc longtemps eu une ampleur modeste avant de croître dès les années quatre-vingt avec la stabilisation progressive de la population étrangère et l'accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE qui facilite depuis 2002 l'accès à l'activité indépendante pour les ressortissants de l'UE.
Trois familles d'hypothèses peuvent être distinguées pour expliquer la création d'entreprise des personnes issues de la migration: la spécificité, la convergence et le désavantage. La première rattache l'entreprenariat des personnes issues de la migration à l'existence d'une clientèle spécifique, à des réseaux de solidarité, à la capacité à recruter une main-d'oeuvre familiale ou ethnique ou encore à un esprit d'entreprise particulier. L'« ethnic-business » suscite des spécialisations dans les activités propices à la valorisation des ressources communautaires telles que le commerce d'alimentation, les ateliers textiles, les agences de voyage, les salons de beauté, la restauration, etc. La seconde hypothèse voit au contraire dans l'entreprenariat des étrangers un phénomène lié à la convergence progressive du profil des personnes issues de la migration et des autochtones: arrivés comme travailleurs dépendants, certains étrangers sont, au fil du temps, de mieux en mieux à même de surmonter les obstacles linguistiques, économiques et administratifs à la création d'entreprise. Enfin, l'hypothèse de désavantage voit l'activité indépendante comme une contrainte imposée par une situation défavorable sur le marché du travail. Des discriminations et un manque de reconnaissance des compétences feraient barrage à la mobilité professionnelle et forceraient certains à devenir indépendants.
Nos résultats montrent que, si l'hypothèse d'ethnic-business a connu un grand succès dans la littérature internationale, elle ne s'applique que très partiellement en Suisse. Le facteur explicatif dominant relève plutôt d'une convergence assortie de désavantages. Cette thèse est étayée par trois constats.
- L'emploi indépendant reste moins fréquent chez les migrants (9.6%) que chez les Suisses (15%), alors que, si les spécificités des groupes issus de la migration leur conféraient des avantages comparatifs pour la création d'entreprise, on devrait observer, tout au moins dans certaines activités, des proportions d'emploi indépendant particulièrement élevées.
- Les créateurs d'entreprises issus de la migration ont un profil proche de celui des Suisses. Ils sont principalement commerçants (22%), agents immobiliers ou informaticiens (16.5%), industriels (16%), entrepreneurs du bâtiment (10.5%) ou restaurateurs et hôteliers (10.5%).
- Des mécanismes de type ethnic-business ou des désavantages ne sont cependant pas inconnus. Les personnes originaires de Turquie et, dans une moindre mesure, de l'Ancienne Yougoslavie connaissent souvent des taux d'indépendance supérieurs aux autochtones et des profils d'activités particuliers.
Les résultats de l'étude tendent, en conclusion, à démythifier le caractère spécifique de l'entreprenariat des personnes issues de l'immigration. En Suisse, le phénomène relève le plus souvent d'un processus assez classique d'intégration pour des migrants arrivés dans les années 1960 à 2000. La création d'entreprise n'est cependant que très peu thématisée en tant que voie d'intégration par la politique fédérale. Tout au plus peut-on identifier quelques projets locaux issus de la société civile et destinés à aider les migrants à mettre sur pied une entreprise. Très récemment, on relève cependant une prise de conscience du potentiel de l'emploi indépendant par certaines instances d'intégration régionales comme la municipalité de Zurich. Ces efforts méritent à l'évidence d'être renforcés.
Référence de la publication :
OECD/OCDE ed. 2010. Open for Business - Entrepreneurship and Employment Creation of Immigrants. Paris: Organisation de coopération et de développement économiques.
http://www.oecd.org/document/7/0,3746,en_2649_34591_46424519_1_1_1_1,00.html
Référence du chapitre sur la Suisse
Piguet, E. 2010. Entrepreneurship among immigrants in Switzerland. In Open for Business - Entrepreneurship and Employment Creation of Immigrants, ed. OECD/OCDE, p. 149-187. Paris: Organisation de coopération et de développement économiques.
Contact
Un résumé de l'étude peut être demandé à
etienne.piguet@unine.ch
Prof. Etienne Piguet
Tél. 032 718 19 19