La vie après UniNE
« Quand on choisit un master, il faut se challenger »
Stéphane Donnet, Software Engineer & Co-founder de Witchlake Studio
Détenteur d’un Master en informatique de l’Université de Neuchâtel depuis 2013, le Neuvevillois Stéphane Donnet est à la tête de Witchlake Studio, une entreprise de jeux vidéo basée à Peseux.
Le 1er avril 2012, vous avez créé avec votre frère la société Witchlake Studio en même temps que vous faisiez votre Master en informatique. Un sacré challenge !
Oui (rires). 2012 a été une année très « chaude », mais sympa. Surtout le début d’année : le 2 janvier, ma première fille naissait ; le 14, j’avais les fonds pour monter ma société ; le 16, je fêtais mes 30 ans ; et le 1er avril, nous fondions Witchlake Studio pendant que je suivais les cours pour mon master. J’ai terminé ce dernier fin 2012 et pris quelques mois, courant 2013, pour rédiger mon mémoire. Autant dire que je n’avais plus de vie : je pensais travail le jour, la nuit, les week-ends.
Parlez-nous en quelques mots de votre entreprise?
Après mon bachelor, j’ai travaillé durant sept ans en indépendant. J’ai développé durant cette période un logiciel de facturation pour Let’s go, une société de fitness, afin de gérer tous les processus métiers de l’entreprise. Avec mon frère et un petit groupe d’amis également indépendants, nous avons eu l’idée de nous regrouper et de créer une structure type SA. Notre objectif visait non seulement à satisfaire la direction au niveau performance, mais aussi à faire plaisir aux utilisateurs en créant des interfaces de plus en plus interactives et compliquées. C’est ainsi que nous sommes arrivés aux jeux vidéo. Aujourd’hui, Witchlake regroupe une quinzaine de passionnés, dotés d’une solide expérience dans la conception de jeu, l’art/l’animation, le moteur de jeu/code et le son/musique. Nous réalisons également sur mandat des business games ou encore de courts films d’animation.
En étant co-directeur de l’entreprise, vous portez aussi la casquette de manager. On est bien loin de votre formation d’informaticien…
Oui. Heureusement, j’ai plusieurs mentors qui m’ont appris les ficelles du métier. En montant une SA, vous touchez des domaines très spécifiques au niveau juridique, mais aussi des assurances, de la gestion de la trésorerie ou encore de l’optimisation de l’administration. Sans oublier tout l’aspect humain : l’engagement, la gestion du personnel. Je me suis pour ma part entouré de personnes de confiance, toutes très autonomes dans leur spécialité. Cela me permet de me concentrer sur les prises de décision plutôt que sur le management. Et je peux ainsi continuer à exercer mon métier de software architect : je pose l’architecture des logiciels et des jeux et, ensuite, les développeurs et artistes travaillent dessus.
D’où vient cette passion pour les jeux vidéo ?
J’ai commencé à programmer à l’âge de 12 ans. J’étais alors sur MS-DOS, un 386, autant dire une antiquité. Je n’avais pas Internet, aucun livre sur la programmation. Et dans mon entourage, personne n’était dans l’informatique. J’ai dû pas mal réinventer la roue. Mais j’aimais ça. Créer des jeux vidéo, c’était mon rêve d’enfant ! Quand je me suis retrouvé ce début d’année à la Game Developers Conference (un des plus importants événements au monde dans le domaine des jeux vidéo, ndlr) à San Francisco pour présenter notre nouveau jeu FoxTrotte, ça a été énorme !
Faire un bachelor en sciences informatiques était donc la voie toute tracée ?
Si j’avais pu commencer l’uni à la sortie de l’école obligatoire, je l’aurais fait ! Mais j’ai dû d’abord passer par le gymnase, apprendre la bio, le français... des branches qui ne m’intéressaient pas. C’était frustrant. J’avais « faim », très « faim ». Quand je suis enfin arrivé à l’Université, je me suis dit : voilà, ça y est ! Maintenant, on apprend ! Pour moi, c’était le rêve. Surtout en deuxième année, avec les cours d’algorithmie. Nous avons eu des profs, des pointures, auxquelles nous pouvions poser toutes les questions que nous voulions. Imaginez : nous n’étions que cinq en cours. Après toutes ces années à naviguer en solitaire, me trouver face à des encyclopédies du développement, c’était génial !
J’ai non seulement beaucoup appris, mais j’ai pu participer à de nombreux projets. J’ai par exemple créé Snowcraft, un jeu réseau en Java, avec mes camarades d’uni. Nos profs nous ont encouragés à le développer pour les futurs gymnasiens. A ce moment-là, c’était un peu l’euphorie et la tristesse à la fois, car nous venions d’apprendre que le bachelor en informatique allait être supprimé. Je faisais partie de la dernière volée. Heureusement, ils ont mis en place ce master en informatique unique en Suisse, faisant partie d’une filière BeNeFri (Universités de Neuchâtel, Berne et Fribourg).
Et vous avez décidé de le faire quelques années après votre bachelor, au moment même où vous projetiez de créer votre entreprise. Pourquoi ?
En 2011, je travaillais sur la dernière mouture de mon logiciel. Comme je n’avais pas encore de produit fini, je ne pouvais pas monter ma société. En plus, avec la crise, nous ne trouvions pas de financement pour lancer l’entreprise. J’ai donc décidé de continuer à développer mon logiciel et de faire, parallèlement, mon « petit » master ! Ce que j’ai un peu regretté ensuite : un master, c’est difficile. D’autant plus qu’à 29 ans, je n’avais plus fait de math depuis quelques années et surtout, je ne parlais pas l’anglais, alors que les cours sont donnés dans cette langue. Si la charge de travail était considérable, j’ai retrouvé une université hyper compétente, avec des cours d’une grande qualité. Et mon master m’a apporté des outils très utiles pour la suite, que ce soit dans la 3D, la programmation parallèle, le game design, etc. Des cours donnés à nouveau par des pointures. Un pur bonheur pour moi. Côté organisation entre les trois universités, c’était également hyper au point. J’ai pu planifier quasiment tous mes cours sur une année.
Quels sont les points forts de l’Université de Neuchâtel selon vous ?
Ce que j’ai le plus apprécié à l’UniNE, c’est le facteur humain, surtout à l’Institut d’informatique. Il y a des profs hyper bons, mais qui restent « normaux », loin du cliché du prof savant autiste ! Il y a en outre une certaine modestie. Ce sont des modèles importants. La proximité avec ces profs fait également que, en tant qu’étudiants, nous ne sommes pas que des numéros. S’ils voient qu’on a du potentiel, qu’on en veut, ils nous aident. Par exemple, j’étais connu à l’université pour mes compétences en 3D. Les profs m’ont propulsé sur des projets internes, dont un à l’Institut de zoologie. J’y ai d’ailleurs travaillé une année. Oui, vraiment, je ne vois aucun point négatif qui mériterait d’être relevé. Mis à part peut-être le fait qu’on ne puisse plus fumer dans les bâtiments ! (rires)
Quels conseils donneriez-vous à un étudiant ou futur étudiant ?
Pour celles et ceux qui veulent faire un master, il est important d’en choisir un qui leur corresponde. En faire un au rabais, en se disant « j’opte pour celui-ci, car il est simple », c’est un mauvais investissement. Il faut profiter de se challenger pendant un master. L’autre conseil que je donnerais est plus général. Il vient d’ailleurs d’un prof de l’université. Il nous avait dit : « On ne va pas seulement vous juger sur votre papier universitaire, mais aussi sur ce que vous avez fait autour de l’université, sur vos projets ». C’est très vrai. En tant que patron et qu’ancien employé, j’ai toujours été jugé et je juge toujours les gens qui viennent chez moi par rapport à ce qu’ils ont fait en dehors de leurs études et non pas sur le fait qu’ils ont un papier ou non. Mon meilleur développeur est docteur en physique. Aujourd’hui, il développe des jeux vidéo. Cela n’a rien à voir ! Le gars a fait tellement de trucs en dehors de ses études que c’est le meilleur développeur que j’aie jamais vu de toute ma carrière. La personne qui s’en tient à ses seules études, elle va y arriver. Mais si je devais choisir entre elle et celle qui a développé des projets à l’extérieur, je choisirai la deuxième.