Les mécaniciens de l'illusion. Les Jaquet-Droz, une entreprise familiale internationale à la fin du XVIIIe siècle

Les horlogers chaux-de-fonniers Pierre Jaquet-Droz (1721-1790) et son fils Henri-Louis (1752-1791) représentent indéniablement deux figures prééminentes du développement de l'activité horlogère neuchâteloise dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Si leurs trois célèbres androïdes actuellement conservés au Musée d'Art et d'Histoire de Neuchâtel (MAHN) - l' Ecrivain , le Dessinateur et la Musicienne - les inscrivent dans cet engouement pour la machine, et pour l'automate en particulier, qui caractérise l'âge des Lumières, leur production mécanique esthétiquement et techniquement raffinée prend la route de la Turquie et surtout de la Chine, manifestant ainsi un projet économique de portée internationale. L'automate - « instrumen de méchanique, mis en mouvements par des ressorts, des poids internes &c. comme les horloges, les montres, &c. », nous dit l' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert - est l'objet central de ce projet. Outre les montres richement décorées, les pendules, les carillons, les cages à oiseaux et les tabatières ils font en effet la spécificité des ateliers Jaquet-Droz qui, par l'esprit entrepreneur d'Henri-Louis, s'installent d'abord à Londres en 1774 et à Genève en 1783, afin de légitimer et d'ancrer leur virtuosité mécanique au sein de l'excellence horlogère européenne contemporaine, symbolisée par ces deux villes.

Notre projet de recherche, mené en collaboration avec le MAHN, se propose d'actualiser le discours historiographique autour de ces deux personnages, datant désormais de la première moitié du XXe siècle, et de les comprendre en dehors des constructions apologétiques de la mythographie horlogère jurassienne. Trois axes d'enquête sont privilégiés au sein de cette relecture. En premier lieu, une étude qui, relevant de l'histoire économique et industrielle, questionne d'une part l'appartenance des Jaquet-Droz au monde de la production horlogère européenne du dernier tiers du XVIIIe siècle et, d'autre part, leur appartenance à l'univers de la création et du commerce de l'objet de luxe. Ensuite, une réflexion apte à saisir les Jaquet-Droz en tant qu'acteurs importants du champ de l'invention et de l'innovation, participant par leurs réalisations aux débats autour du statut intellectuel et social du savoir mécanique, qui structurent la pensée technologique au siècle des Lumières. En dernier lieu, une attention aiguë à l'analyse technique des objets, tels qu'ils sont nous parvenus aujourd'hui ; par cette étape fondamentale, on mettra en évidence non seulement les spécificités mécaniques de la création Jaquet-Droz, mais aussi les modifications et les restaurations que ces objets ont subies au fil des siècles. Tout cela participe, enfin, d'un questionnement fondamental sur le sens de la pratique de la conservation et de la restauration de l'objet mécanique dans le contexte muséal contemporain.