Communiqué
Agriculture: l’impact des ravageurs exotiques
22 août 2014
Les insectes herbivores venus d’autres contrées perturbent les stratégies naturelles de défense des plantes reposant sur l’émission d’odeurs. C’est le principal constat de l’étude InvaVOL soutenue durant trois ans par l’European Research Council (ERS) dans le cadre du programme EuroVOL et coordonnée par des chercheurs de l’Université de Neuchâtel. La réunion de clôture d’EuroVOL se tient aujourd’hui à Neuchâtel, dans le sillage du symposium international sur les relations entre insectes et plantes SIP 15 qui a attiré deux cents spécialistes du 17 au 22 août.
Les molécules odorantes émises par les végétaux jouent un rôle central dans les interactions entre plantes et insectes. Lorsqu'ils sont attaqués par des insectes herbivores, les végétaux produisent des substances volatiles pour attirer les ennemis des herbivores, établissant ainsi une stratégie de défense indirecte et entièrement naturelle.
Mais l’arrivée de ravageurs exotiques bouleverse ce système. En effet, les herbivores, quelles que soient leurs origines, provoquent chez la plante l’émission d’un signal olfactif de détresse. Celui-ci attire alors des guêpes parasitoïdes supposées pondre leurs œufs dans l’insecte destructeur. Le problème, c’est que les herbivores étrangers ne sont souvent pas compatibles pour accueillir ces œufs. Les guêpes sont généralement très spécifiques et ne peuvent attaquer que quelques espèces natives.
La bonne nouvelle, c’est que trois espèces de guêpes parasitoïdes sur les quatre passées en revue font assez rapidement la distinction entre une plante attaquée par un ravageur local ou étranger. Elles peuvent se détourner de la plante si elles savent qu’elles n’auront pas d’hôte à se mettre sous le dard. Et tout cela grâce à des composés odorants qu’elles sont capables d’analyser assez finement. Une finesse qui ne manque pas d’étonner Ted Turlings, directeur du laboratoire d’écologie chimique de l’Université de Neuchâtel et co-auteur de l’étude.
La mauvaise nouvelle, c’est que lorsque la plante est à la fois attaquée par une chenille étrangère et une chenille hôte locale, les guêpes ne la reconnaissent plus comme étant victime d’un ravageur se prêtant à la déposition de leurs œufs. Cela contribue à diminuer l’efficacité de la défense indirecte du végétal. Ces résultats ont été obtenus après examen des effets de 17 espèces d’herbivores exotiques et natifs, et du comportement de près de 10 000 guêpes en réponse aux odeurs des plantes induites par ces herbivores. Le travail avec les herbivores exotiques s’est déroulé en conditions de quarantaine à l’institut de biologie de l’Université de Neuchâtel.
Mais il arrive que le parasitoïde se laisse prendre au piège, perdant son temps et son énergie à tourner autour d’une plante qui ne tient pas ses promesses. « Nous avons observé cette situation avec le ver du cotonnier, une chenille originaire d’Afrique du Nord, Spodoptera littoralis, qui peut aussi se nourrir de crucifères (chou, chou-fleur, broccoli, etc.), indique Gaylord Desurmont, post-doctorant en charge de la coordination d’InvaVOL. L’attaque combinée de cette chenille et de la piéride du chou (Pieris brassicae) rend les plantes moins attractives pour Cotesia glomerata, une guêpe qui pond ses œufs dans les chenilles de la piéride du chou. De plus, la guêpe peut attaquer et pondre ses œufs dans le ver du cotonnier en cas de rencontre, mais cette espèce ne convient pas à l’opération qui échoue. La présence du ravageur exotique entraîne donc un risque de prolifération du ravageur local qui se retrouve sans ennemi naturel pour le freiner. »
La situation est d’autant plus inquiétante que les changements climatiques favorisent la migration du ver du cotonnier vers le Nord. Qui s’est déjà installé en Espagne et en Italie. Des lieux où les chercheurs voudraient poursuivre leurs investigations sur le terrain, afin de confirmer ces observations réalisées en laboratoire.
InvaVOL faisait partie du programme EuroVOL sur l’écologie des substances volatiles émises par les plantes, lequel comprenait également deux autres projets de recherche européens. Les activités développées à l’Université de Neuchâtel par Gaylord Desurmont se poursuivent avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique.
La réunion de clôture intervient au lendemain du symposium international sur les relations entre insectes et plantes SIP 15 qui s’est tenu à Neuchâtel et qui a attiré deux cents spécialistes durant une semaine. Il y a été question de l’importance des insectes dans l’agriculture, de pollinisateurs, de papillons, du rôle primordial des odeurs, de vecteurs de maladies des plantes, ou encore de stratégies de protection des plantes face aux ravageurs. La thématique de SIP 15 tournait largement autour du concept d’écologie chimique qui a pour objectif d’étudier comment les organismes utilisent des substances chimiques pour interagir entre eux et avec leur environnement. L’écologie chimique est l’un des neuf domaines-clés de l’Université de Neuchâtel.
Le communiqué au format pdf
Contact :
Dr Gaylord Desurmont
Laboratoire d’écologie chimique
Tél. +41 32 718 3162
gaylord.desurmont@unine.ch
Prof. Ted Turlings
Directeur du Laboratoire d’écologie chimique
Tél. +41 32 718 3158
ted.turlings@unine.ch
Spodoptera littoralis on a maize leaf . (c) Matthias Held, Université de Neuchâtel
En savoir plus :
Articles scientifiques :
Desurmont G.A., J. Harvey, N.M. van Dam, S. Cristescu, F.P. Schiestl, S. Cozzolino, P. Anderson, M.C. Larsson, P. Kindlmann, H. Danner, and T.C.J. Turlings (2014). Alien interference: Disruption of infochemical networks by invasive insect herbivores. Plant, Cell and Environment DOI: 10.1111/pce.12333 (online)
Chabaane, Y., D. Laplanche, Ted C.J. Turlings, and G. A. Desurmont. Impact of exotic insect herbivores on native tritrophic interactions: a case study of the African cotton leafworm, Spodoptera littoralis. Journal of Ecology, accepted for publication
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1365-2745.12304/pdf
Schiestl, F. P., Kirk, H., Bigler, L., Cozzolino, S., & Desurmont, G. A. (2014). Herbivory and floral signaling: phenotypic plasticity and tradeoffs between reproduction and indirect defense. New Phytologist, 203(1), 257-266.
Site d’EuroVOL :
www.esf.org/coordinating-research/eurocores/running-programmes/eurovol.html
Domaine-clé Ecologie chimique : www2.unine.ch/centres-of-excellence