Thématique
« Les langues et leurs images », tel était le titre d’un colloque organisé il y a vingt ans par l’Institut romand de recherche et de documentation pédagogique (IRDP) et le Centre de linguistique appliquée de l’Université de Neuchâtel, à l’instigation de l’Association européenne des linguistes et des professeurs de langues (Matthey 1997). A l’occasion de son 125e anniversaire, l’Institut de langue et civilisation françaises (ILCF) de l’Université de Neuchâtel s’associe à eux, ainsi qu’au LIDILEM de l’Université Grenoble Alpes, afin de revenir sur cette problématique de l’image des langues à la lumière des changements intervenus au cours des deux décennies écoulées.
Sous le titre « L’image des langues », ce colloque s’attaque à une problématique à la fois sociale et linguistique d’actualité en ce début de 21e siècle : chacun-e d’entre nous possède des représentations des langues, que ce soit la sienne ou celle des autres, celles qu’on croise dans son environnement, celles qu’on enseigne ou qu’on étudie, chacun-e se forge une image plus ou moins idéalisée de ce qu’elles sont ou devraient être. Et ces représentations influent plus ou moins directement sur nos comportements, nos manières de communiquer, d’enseigner, d’apprendre, et plus généralement de considérer nos interlocuteurs et interlocutrices, d’autres modes de communication, d’autres cultures… tout en étant elles-mêmes influencées par ces comportements. La question de l’image des langues concerne toutes les langues – des « patois » aux langues internationales et à celles de la migration –, leur statut, leur maitrise, leur enseignement et leur apprentissage. Et, au-delà des langues, la manière dont nous nous positionnons – plus ou moins tacitement –, en tant qu’individus ou en tant que groupes, face à d’autres individus, groupes, cultures ou nations.
Par ce fait, l’image des langues est étroitement liée aux changements sociaux. Lors des deux dernières décennies, les débats concernant le choix des langues à enseigner, le début plus ou moins précoce de leur enseignement, l’enseignement bilingue, les langues de la migration, ainsi que le plurilinguisme ont évolué en fonction du contexte sociopolitique et économique. Les notions de mondialisation et de globalisation sont omniprésentes dans les discours, l’anglais est plus que jamais plébiscité comme langue seconde universelle, notamment dans le domaine scientifique, et même comme langue d’enseignement à l’université ; la question de l’apprentissage des langues nationales en Suisse se pose désormais en termes économiques et de hiérarchisation des priorités dans un environnement concurrentiel mondialisé. Les effets de ces changements s’exercent bien sûr aussi sur les représentations et influencent, de diverses manières, la conscience linguistique des locuteurs et des locutrices : le sentiment d’insécurité linguistique des régions périphériques, par exemple, est bien connu, mais il s’accompagne aujourd’hui, plus encore qu’il y a vingt ans, d’une valorisation des régiolectes, liée à des identités locales revendiquées, qui reflèterait une dynamique de glocalisation.
La globalisation va également de pair avec un accroissement des flux migratoires, élargissant considérablement le panel des langues objets de nos représentations tout en mettant en question l’image d’une « langue commune », et tout en introduisant – ici encore, souvent tacitement – des échelles de valeur relatives aux langues et à celles et ceux qui les parlent. Ces dernières années, les discours sur la diversité linguistique et culturelle – perçue comme une richesse ou comme une menace – a pris, sous des formes diverses et parfois opposées, une importance sans précédent ; les discours portant sur l’importance de la maitrise de la langue locale pour l’intégration des migrants en sont un exemple : de nombreux pays européens ont instauré des tests linguistiques qui conditionnent désormais l’accès à la nationalité, voire à un titre de séjour.
On assiste en outre, dans cette mouvance, à des phénomènes de fragmentation sociale accrue qui suscitent l’émergence de sociolectes devenant eux aussi objets de représentations sociales et identitaires. Si ces phénomènes ne sont bien entendu pas fondamentalement nouveaux en soi, ils ont suscité, durant ces dernières années et principalement grâce au développement des corpus oraux, de nombreux travaux portant notamment sur la notion d’accent et renouvelant la manière d’aborder l’étude des représentations.
Enfin, la globalisation est renforcée, accélérée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, avec un certain nombre de répercussions sur des pratiques langagières qui, bien qu’écrites, présentent de nombreuses caractéristiques de l’oral conversationnel (courriels, SMS, blogs et forums divers, Facebook, WhatsApp...). Là encore, l’image des langues, la représentation normative de ce qu’elles devraient être, est centralement en jeu.
Dans les sciences du langage, l’avènement de la linguistique de corpus et l’intensification de l’étude de données orales spontanées (souvent interactives) ont par ailleurs ouvert de nouvelles perspectives et suscité de nombreux travaux, qui ont entrainé une révision parfois assez radicale des notions et catégories utilisées pour décrire les langues, mais il reste à interroger l’influence de telles révisions sur les représentations des enseignant-e-s, que ce soit en L1 ou en L2, et sur leurs pratiques d’enseignement.
Ce colloque sera l’occasion de faire le point sur cette thématique de l’image des langues, pour en saisir l’évolution et en évaluer les répercussions à la fois sociales et éducatives. Il interrogera notamment les effets de la globalisation, des flux migratoires et des nouvelles technologies sur nos représentations des langues, de leur statut, de leurs usages, de leur maitrise, de leur enseignement et de leur apprentissage. Avec, en arrière-fond, la question récurrente des liens entre ces représentations et les pratiques langagières qu’elles sous-tendent tout en étant configurées par elles.
Référence bibliographique
Matthey, M. (éd.) (1997). Les langues et leurs images. Neuchâtel & Lausanne, IRDP & Editions L.E.P.
Conférenciers invités
Annette Boudreau (Université de Moncton/CA)
Piet Van Avermaet (Universiteit Gent/B)
Eva Waltermann (Université de Genève/CH)