La vie après UniNE
Ne pas aller en cours « comme de bons petits moutons »
Vicente Anzellini, géographe
Vicente Anzellini , Colombien d’origine suisse, a obtenu un Master en lettres et sciences humaines, orientation géographie humaine en 2012. Il travaille actuellement comme consultant au Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe, à Genève.
En quoi consiste concrètement votre travail à l’ONU ?
Je travaille dans la « Risk Knowledge Section » du Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe. La section de connaissance du risque est en charge de publier le rapport mondial d’évaluation sur la réduction des risques en matière de désastres naturels. A l’Université, j’avais fait la géographie et mon mémoire portait justement sur le thème de « migrations et changement climatique » à travers l’étude de cas d’un désastre qui a impliqué le déplacement d’une population en Colombie: l’UniNE est particulièrement active sur le thème des migrations, et cette spécialisation sur les migrations reliées aux changements environnementaux a attiré mon attention. Après mon mémoire, j’ai postulé à l’ONU, où ils avaient justement besoin d’un stagiaire.
Vous avez donc trouvé quelque chose en lien direct avec votre travail de mémoire !
Exactement. C’était un stage non payé, qui s’est transformé maintenant en poste rétribué de consultant. J’ai commencé par organiser des références, faire un boulot très technique, et progressivement, on m’a donné d’autres choses, le fait de participer à la révision du rapport en espagnol, par exemple. Au bout de deux mois, j’ai eu un briefing avec mon chef, qui m’a dit que jusque là, j’avais un peu « porté les briques » et qu’à partir de ce moment, il souhaitait que je fasse quelque chose qui relève davantage de l’architecture ou de l’ingénierie.
Maintenant je travaille à un projet qui vise à constituer un index pour mesurer l’implémentation des politiques des pays en matière de réduction des risques. Je révise le contenu des rapports remis par les pays francophones et hispanophones, j’analyse et intègre le contenu dans un document qui sera bientôt publié. J’applique donc des choses apprises à l’uni en matière de tri, de sélection de ce qui est important, je dois réfléchir sur des questions de méthodologie de classement et dois aussi apporter un avis sur la qualité des méthodes des différents pays. Avec mon statut de consultant, maintenant, j’ai obtenu de nouvelles responsabilités et je vais commencer à mener des missions en Afrique pour y promouvoir l’implémentation de bases de données visant à enregistrer les pertes et dommages par catastrophes, dans les pays d’Afrique de l’Ouest notamment.
Vous constatez donc un lien direct entre votre travail quotidien et ce que vous avez appris à l’UniNE ?
Oui, j’ai besoin d’avoir une structure mentale qu’on acquiert à travers les cours universitaires. Notamment en termes de méthode, alors qu’à priori les questions de méthode ne sont pas les plus passionnantes dans une formation universitaire ! Je dois aussi être au clair avec les concepts que je gère : exposition, aléas, vulnérabilité, risques etc. Et ce sont des concepts avec lesquels je me suis familiarisé lors de mes études et surtout dans le cadre de mon mémoire. Même si pendant mes études, il m’est arrivé de me demander si les exigences ne devraient pas être plus élevées, à l’arrivée, je constate que la formation est bien, complète. Et c’est cela le but ! On est bien formés, je sais maintenant développer une méthode, organiser un cadre théorique, c’est acquis !
Vous avez des origines suisses, mais aviez jusqu’alors toujours vécu en Colombie. Pourquoi être venu à Neuchâtel pour votre master ?
J’ai toujours eu un rapport étroit avec la Suisse et la langue française, même si le côté suisse de ma famille est originaire de l’Emmental ! Il était clair pour moi que je voulais faire mon master en Suisse. J’avais fait les sciences sociales en Colombie, un bachelor en histoire option géographie, et je voulais continuer dans cette ligne-là. Je me suis renseigné auprès d’une prof de l’Université de Berne, qui m’a dit que si je voulais faire de la géographie humaine en français et en Suisse, il fallait que j’aille à Neuchâtel. J’ai pu le faire grâce à un soutien financier, car pour mes parents, au vu du contexte colombien, cela n’aurait pas été possible.
Le choix de la géographie et des sciences sociales, cela a toujours été clair pour vous ?
Oui. Je suis sur une seule ligne, depuis l’école. A l’Ecole suisse de Bogota, j’avais un prof d’histoire et géographie qui était très intéressant. Et j’étais déjà passionné par les atlas ! Plus tard, lors de mon bachelor en histoire, tous mes travaux ont été tournés sur la relation temporalité/espace, les changements dans l’espace, etc. Je me suis particulièrement focalisé sur la colonisation espagnole en Colombie et en Amérique latine, et surtout le peuplement : comment les Espagnols ont réduit plusieurs villages indigènes en un seul, comment ils ont organisé l’espace pour régner, pour contrôler. C’est de la géographie humaine. Et j’ai voulu poursuivre en géographie, parce que c’est une branche qui me paraît plus concrète, avec plus de débouchés possibles, que l’histoire, plus académique.
Vous m’avez dit que, selon vous, l’université n’est pas toujours assez ancrée dans le réel.
Je trouve intéressant de lire toute la théorie du monde, mais c’est vrai que lorsqu’on arrive dans le monde concret, on se sent un peu décalé. Or il serait facile de réduire cette marge. L’UniNE promeut le fait d’aller voir ailleurs, mais tous les étudiants ne l’entendent pas nécessairement. Il y a donc peut-être plus à faire encore, davantage de partenariats pour pousser les étudiants à commencer à faire davantage de stages pratiques. Sinon, on sort de l’uni et on n’a rien sur son CV ! Or la vraie vie, le fait de travailler en équipe par exemple, s’apprend aussi…
Q uels conseils donneriez-vous à un étudiant ou à un futur étudiant ?
Je l’ai dit, être en contact avec le concret à travers des stages, c’est essentiel. Une autre chose qui me frappe, c’est qu’en Suisse, les étudiants n’osent pas parler. Ils devraient apprendre à rompre avec l’attitude scolaire, se dire que s’ils sont dans telle faculté, c’est parce qu’ils y ont un intérêt particulier. Et donc s’exprimer, dire leurs doutes, susciter le débat ! De ce point de vue-là, il y a une énorme différence avec la Colombie. Là-bas, quand un prof demande s’il y a des questions, tout le monde réagit. Il ne faut pas aller en cours comme de bons petits moutons, mais s’exprimer, montrer qui on est, cela suscite des rencontres, des dialogues. C’est important !
Interview UniNE 2013