La vie après l'UniNE
« Ne pas craindre le futur »
Giovanni Foletti, archéologue indépendant
Après avoir obtenu son Master en archéologie préhistorique en 2012, Giovanni Foletti s’est lancé en tant qu’indépendant dans le domaine de l’archéologie expérimentale. Du Tessin au village lacustre de Gletterens (Fribourg), où il anime divers ateliers, il sillonne la Suisse pour transmettre sa passion pour la Préhistoire.
Vous travaillez dans un domaine pour le moins original: l’archéologie expérimentale. De quoi s’agit-il?
L’archéologie expérimentale est la branche de l'archéologie qui vise à reproduire des objets du passé, tels que des outils en silex ou en os, des poteries, des armes ou encore des maisons. Son objectif est de répondre à des questionnements en lien avec ces vestiges archéologiques: Comment étaient-ils fabriqués? Quelles étaient leur fonction? La personne qui pratique l’archéologie expérimentale doit, dans ce sens, avoir une solide expérience tant scientifique que pratique. Détenant un savoir au fort pouvoir évocateur, elle a le devoir de divulguer ses connaissances à un large public.
En tant qu’indépendant, en quoi consiste votre travail au quotidien?
Si au départ, je voulais rester dans l’archéologie expérimentale en tant que chercheur, j’ai très vite réalisé que ça allait être difficile. C’est un métier qui n’existe pas encore en Suisse. Donner des ateliers est la seule voie qui permette de vivre financièrement. J’ai donc commencé par l’aspect «divulgation», en mettant sur pied des stages de fabrication d’arcs et de flèches d’inspiration primitive au Tessin et au village lacustre de Gletterens (FR). Mes activités artisanales se sont en cours de route élargies à l’emploi des fibres végétales anciennes grâce à Jacques Reinhard, un grand expert en la matière, qui me transmet aujourd’hui encore son savoir. Je donne depuis des cours sous forme de promenades dans la nature, pour montrer aux gens comment trouver, extraire et transformer les fibres sauvages. Je poursuis parallèlement ma formation dans le tannage, la réalisation d’habits en matériaux d’origine animale et végétale, ainsi que dans la taille du silex.
Qu’en est-il de l’aspect recherche?
J’ai pu me rendre cet été 2015 à un colloque international sur la tracéologie (méthode scientifique qui a pour but de déterminer la fonction des outils par l'étude des traces produites lors de leur utilisation, ndlr) aux Pays-Bas avec une collègue parisienne qui m’a initié à cette méthode, lors de mon mémoire de master consacré aux armes-outils du Néolithique. J’y ai présenté les résultats de ce dernier. Mon approche très rigoureuse a plu. J’ai réalisé que je remplissais une niche quasi vide et que si je poursuivais dans cette voie, j’allais pouvoir à terme collaborer avec d’autres scientifiques, ce qui est primordial à mes yeux.
Bachelor en archéologie à Fribourg, master en archéologie préhistorique à Neuchâtel… Avec l’archéologie expérimentale, vous êtes loin des fouilles liées à l’archéologie «traditionnelle». Pourquoi avoir choisi cette voie?
Ce sont les expériences, mais surtout les rencontres que j’ai effectuées au fil de mes études qui m’ont amené à l’archéologie expérimentale. J’ai d’abord commencé mes études en histoire. Etant d’un naturel très pratique, je me suis très vite senti en décalage avec la matière, très axée sur les textes et le discours suisse. Aussi, lorsque j’ai découvert l’archéologie durant cette première année, j’ai décidé de changer de voie. Plus que les branches principales, axées sur l’archéologie classique et byzantine, ce sont les initiations parallèles à la géologie, à la céramique et aux méthodes de datation qui m’ont passionné. J’ai en outre suivi les cours d’introduction à la préhistoire donnés à l’époque par Marc-Antoine Kaeser, actuellement directeur du Laténium, le musée d’archéologie. Grâce à lui et à ses contacts, j’ai pu effectuer mes premières fouilles sur le terrain. Ma première campagne a eu lieu dans le département des Bouches-du-Rhône, non loin d’Aix-en-Provence. Il s’agissait d’une fouille néolithique d’un mois. J’y ai rencontré des gens du métier, des passionnés, dont notamment Samuel van Willigen, le directeur de la fouille. Cela a marqué le véritable début de ma passion pour la Préhistoire. J’ai ensuite pu aller fouiller avec Pierre Pétrequin, qui est l’un des piliers de l’archéologie néolithique française, ainsi qu’avec d’autres chercheurs, dans des contextes chrono-culturels différents. A la fin de mon bachelor, il était évident que j’allais poursuivre avec un Master en préhistoire. C’est comme cela que je me suis retrouvé à Neuchâtel.
Quels sont les points forts de l’UniNE ?
J’en garde globalement un bon souvenir. C’est un contexte super! Nous bénéficiions presque de cours privés, tellement nous étions peu lors des cours. Une partie des leçons était en outre donnée au Laténium, un cadre idéal. C’était direct, simple et très stimulant. Parmi les points forts de la formation, je citerais les cours de méthodologie et d’histoire de la discipline, qui permettent d’avoir un rapport critique vis-à-vis de la recherche. J’ai également pu partir fouiller au Soudan, grâce au Professeur Matthieu Honegger. Une expérience magnifique! Enfin, j’ai retrouvé avec plaisir Marc-Antoine Kaeser, qui enseigne à l’UniNE. Grâce à lui, j’avais d’ailleurs fait une autre rencontre primordiale, celle de Kim Pasche, qui était à l’époque animateur au village lacustre de Gletterens. Aujourd’hui, en tant que trappeur, chasseur et artisan de la préhistoire, il vit et travaille en Europe et au Nord-Ouest du Canada. A la fin de mon master, ma famille et moi sommes allés vivre deux mois à ses côtés au Yukon. J’ai ainsi pu m’initier à de nombreuses autres activités liées à l’archéologie expérimentale, mais surtout compris à quoi j’aspirais vraiment: je voulais adapter mon travail à mon mode de vie, proche de la nature, et non pas l’inverse, comme j’avais pu l’expérimenter lors de mes emplois en cours d’étude au Service archéologique du canton de Fribourg ou encore au Musée d’art et d’histoire de Fribourg. C’est lorsque j’étais au Yukon que l’idée de me lancer en indépendant a commencé à germer.
Quels conseils donneriez-vous à un ou une futur(e) étudiant(e) ?
Je lui conseillerais d’étudier ce qui le passionne le plus, sans crainte du futur. Les voies possibles sont très nombreuses si l’on a envie de sortir des sentiers battus. Cela peut parfois être plus difficile, mais c’est aussi plus excitant. Et puis, au bout du compte, on trouve toujours des solutions pratiques pour en vivre.
Interview UniNE 2015